« Je suis fatigué »…ce sont les mots qui me sont venus en tête au coup de pistolet final de ce 24h. Dixit Forest Gump après ces 3 ans 2 mois 14 jours et 16 heures de course à travers les États Unis.
254 kilomètres et 264 mètres. Voilà la distance parcourue quand pendant ce temps la terre a fait sa rotation quotidienne sur elle même.
Un 24h, c’est dur à raconter. Parler du parcours ? Une boucle de 1,114km à parcourir le plus souvent possible. 400 mètres de piste synthétique et le reste sur goudron dans le complexe sportif d’Albi. 5763 cailloux sur le parcours.
Un parcours tout plat qui ne l’est plus après 18heures de course. Ou la pente de 3cm pour sortir du stade devient un col. Ou les passages de fil d’eau du complexe sportif sont des faux plats sur lesquels les pieds raclent le sol.
Je n’ai jamais vécu une telle souffrance. Et pourtant je commence à avoir couru quelques courses. Il suffit de voir les photos et vidéos (que je n’ai pas encore vues!!) d’après course.
Je suis parti selon le pacing que nous avions mis en place avec Pascal Trail Coaching. Je ne regrette pas et c’est une stratégie globale que je compte poursuivre.
Effectivement ça a surpris la totalité du monde du 24h, mais je suis mes instincts.
C’était pour moi une première sur ce type d’épreuve. J’ai beaucoup à apprendre, mais avant tout je repartirais en 2019 avec plaisir pour le mondial (dans l’attente de ma confirmation de sélection ! ) plus frais sans faire d’Ultra Trail du Mont Blanc – UTMB 2 mois avant.
J’en imagine beaucoup avoir des préjugés et se dire qu’il est stupide de faire ce genre d’épreuve, que ça ne rime à rien. Pour ma part, j’attends de vivre les choses pour pouvoir me faire mon propre jugement. Et même si au premier abord ce type d’épreuve semble être de la folie, c’en est peut être, mais quel enrichissement !
Pour en revenir à la course, comme prévu avec Pascal, je pars les premières heures en grande aisance à 13/13,5 km/h. Même un peu moins vite que ce dont nous avions fixé. Mais à une allure de confort totale.
A titre d’exemple, sur l’utmb, les allures de départ sont à plus de 15km/h, même si la comparaison est délicate puisque l’effort global différent.
Mais j’ai couru. Je me suis alimenté et hydraté en courant, principalement de boisson Effinov Sport Hydraminov.
Première chose à modifier. Éviter de manger en courant ! …après 6h je vomis ! Et oui, digérer en courant c’est moins facile qu’en marchant !
Un peu de musique avec mon lecteur MP3 (c’est autorisé sur 24h), m’entraîne, notamment au passage de « Conquest if Paradise ». Après l’UTMB, ça motive !
Mais après ça je repars.
Passage au 100eme kilomètre en 8h05’35’’. Excellent ! Et encore bien à l’aise.
La nuit tombe, l’histoire va être différente même si l’éclairage du site rend les choses plus confortables qu’en trail.
Bientôt la sono fait sa trêve nocturne et la course s’enfonce dans la solitude du coureur de fond. On rentre dans un autre monde et c’est à ce moment qu’a pris pour moi toute l’ampleur de cette famille qu’est le monde du 24h. Ou chaque coureur glisse un mot d’encouragement.
Une chaleur se dégage, tout le monde dans la même aventure. Tout le monde avec ces douleurs et ces souffrances. Et tout le monde prêt à se soutenir. De la bienveillance comme on en voit dans les disciplines à l’engagement ultime.
Pour tous, un seul objectif. Donner le maximum. Aller jusqu’au bout du bout. Jusqu’au gong final.
18h viennent de s’écouler, et j’ai franchi la barrière des 200km. Un pallier de plus !
Vers 2h du matin, un petit coup de fatigue. Et le besoin que je n’arrive pas à écarter de m’allonger quelques minutes. Au passage devant ma chérie, je lui annonce qu’au prochain tour je dors 8’.
Pas une de plus. Pas une de moins.
Au tour suivant, je suis accueilli comme un roi.
Un transat et un duvet prêté par l’assistance d’à côté.
Quand je parle de bienveillance entre courir, c’en est qu’un exemple.
Je repars. Cette coupure, plus bénéfique mentalement que physiquement, me permet de conserver une allure descente.
Je progresse.
Chaque tour de bouclé est à mettre dans mon escarcelle vers la quête du meilleur kilométrage possible au terme des ces 24 heures.
Les 6 dernières heures deviennent un calvaire.
Je passe un tour avec @Valentin Costa (3ème au final), et je me rends compte de la famille que représente cette discipline. Avec lui, chaque coureur doublé, nommé par son prénom, à son mot d’encouragement, qui le lui est retourné aussitôt.
Les kilomètres s’écoulent et le temps passe.
A chaque heure qui passe, je rêve de l’instant où retentira le coup de pistolet final, et de m’effondrer par terre en posant la marque quelque soit où je me trouve sur le parcours.
Je vais au bout de moi même. Et quand je m’effondrerais à la fin de la course, peu importe, au pire on me récupérera dans une civière !
La douleur n’est « que » musculaire. Mais les cuisses sont tétanisées, chaque foulée est une vibration dans les cuisses qui me lancent.
Mes pieds frottent le sol à chaque pas. Des ampoules m’arrachent des ondes de douleurs qui m’obligerais presque à stopper. Mais le cerveau est conditionné à courir, à avancer. Alors j’avance. Mètre par mètre. Foulée par foulée.
Plus que 2h30. Je sens clairement que quelque chose change dans la course. Outre le fait que le jour devrait bientôt se lever, l’allure des coureurs a évolué. L’approche de l’échéance a relancé l’ardeur des coureurs.
@Raphaël Gérardin (2ème au final), malgré l’adversité qui pourrait nous éloigné, m’encourage et me prodigue même quelques conseils… « allez, il faut courir avec la douleur ». Encore un exemple de cet état d’esprit formidable.
Je vois Guillaume Laroche arrêté sur le bord avec une grande douleur à la jambe. Stoppé, je suis vraiment déçu pour lui, une personne super que j’ai découvert lors du Les 6H De Vallet en début d’année. Une personne généreuse avec une belle expérience du 24h. Mais qui n’est malheureusement pas épargné par la blessure.
Plus que 2h. 2 petites heures. 1/12ème seulement de la course. C’est presque terminé !
Le record de France n’est plus accessible, mais il faut au moins les 250km, synonyme de performance « International I A » le plus haut niveau de l’athlétisme que j’avais pu atteindre avec mon titre de champion du monde de trail en 2011. Une satisfaction personnelle et un élément de motivation supplémentaire.
1h30 de course. Voyant l’écart se réduire avec mes poursuivants, je ne veux pas me restreindre à me faire passer si prêt du but. Je hausse le rythme tout en calculant incessamment le temps au tour qu’il faut que je fasse pour atteindre les objectifs et maintenir une marge de sécurité.
Mes amis présents depuis le début et venus spécialement de Remouillé redoublent d’encouragement.
Jean-Pierre Mignet, qui initialement avait prévu de venir pour m’encourager, s’est finalement inscrit. (Et aura accompli 124km tout de même !!)
Et les accompagnants qui encouragent de plus belle les coureurs à chaque passage sur la ligne. Et Pascal qui me donne toujours de précieuses informations sur les objectifs, les écarts, tout en gardant pour lui le stress qui commence à monter et en restant positif.
Et puis, toujours les autres coureurs qui, voyant le petit nouveau que je suis atteindre une marque improbable à leurs yeux, m’encouragent toujours plus chaleureusement pour me pousser dans mes retranchements et gagner tous les mettre possible. Le staff équipe de France s’y met aussi.
La dernière heure.
Le temps n’est plus le même.
Le temps ne se compte désormais plus en heure…mais en minutes !
Le référentiel est différent. 7’30’’ par tour. 8,8km/h de moyenne. Je le tiens. Je tiens ce titre. Je tiens ma performance.
L’objectif se rapproche, et pourtant, je pense toujours l’instant du coup de pistolet où je pourrais relâcher le cerveau et m’étendre au sol.
Les jambes sont des morceaux de bois qui ne bougent plus que par miracle et par la force de l’esprit.
Déjà plus de 7 heures que je lutte contre la douleur dans mes jambes.
Mais jusqu’où peut on repousser ses propres limites ?
Plus que 30’ … 250 km ! C’est fait !
23’…allez, encore 3 tours ! Je prends possessions de mon bâton que je vais poser au sol pour mesurer ma performance. Je le serre fort dans ma main et ne pense plus qu’à ça. Ce bâton dans ma main. Pour occulter le reste.
Patrice Binelli qui me pousse à repousser ma marque ! « Aller encore 2 tours! »
16’20’’ pour faire ces deux tours.
L’idée depuis quelques minutes me trotte dans la tête, avec un peu de chance et de persévérance, je vais peut être même m’offrir le luxe de terminer dans la ligne droite de ravitaillement avec tout le monde !
8’23’’ plus tard, et je repasse sur la ligne.
Allez 7’57 pour refaire un tour !
Je donne tout. En essayant d’accélérer la fréquence. En optimisant chaque foulée. En soufflant et en restant dans ma bulle.
Jean Pierre m’accompagne sur cette dernière boucle. Une joie de terminer avec lui et de profiter de ce dernier kilomètre en courant avec lui.
J’entre sur la piste. Deux minutes pour valider une dernière boucle ! 200 mètres à faire. C’est gagné !
Chaque objectif intermédiaire est un objectif en soit qui reste une satisfaction à part entière.
Je profite. Nous profitons avec Jean Pierre.
Le staff de l’équipe de France me félicite. Je passe la ligne et poursuis jusqu’au coup de pistolet final. Je marche en dégustant chaque félicitation et chaque tape dans la main. On me tend un drapeau France.
C’est GAGNÉ !
90 mètres après la ligne, le Gong retenti. C’est TERMINÉ !
Chose promise chose due.
La récompense que j’attends depuis maintenant tant de temps : je pose mon bâton au sol et m’allonge sur le sol ! Je ne peut plus me relever. Je n’arrive plus à me porter.
Mes dernières forces ont elles été jetées ?
Et s’il y avait encore 30’ de course ? Encore une heure ? J’aurais certainement tenu. Mais où sont nos limites ?
J’aurais tendance à dire que nos limites sont là où nous voulons bien les fixer.
Et comme c’est de coutume, je ne peux que remercier vraiment du fond du cœur eux qui sont là pour moi. Et qui par voie de conséquence mérite tout autant cette victoire, mes piliers sont : ma femme Celine, mon coach Pascal.
Mes supporters venus exprès faire le déplacement : Eric et Aline et leurs enfants Manon et Maxime, Paul-Guy et Christelle, Lucie et Olivier et les enfants, mon coach de triathlon de mes premières années Cyrille, et bien sure Véro et Jean Pierre qui en plus a couru !
Un immense merci à Cap Outdoor Nantes pour leur amitié et soutien, à TimePulse (qui me doit une bouteille de champagne !!! ), Effinov Sport qui me donne l’énergie nécessaire pour avancer et bien sure pour l’occasion @La Pizza du Champ de Foire à Montaigu.
Je n’oublie pas tous mes amis et ma famille qui me soutiennent même s’ils n’ont pu être présents mais qui m’accompagnent toujours dans l’effort.
Et merci à vous tous pour vos messages de soutien et de félicitations. J’aurais juste mis 4 heures pour tout lire…enfin je ne me suis pas attaqué à Facebook !!!
J’étais fatigué. Mais je vais me reposer !
Cap sur l’avenir !
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